Cet article traite d'une technique de hacking mental dont il existe plusieurs alternatives allant de la méditation jusqu'à la Magie du Chaos proprement dite, en passant par la méthode Coué, le conditionnement opérant et la psychanalyse pour ne citer que celles-ci puisque connues, au moins de nom, par le grand public. Pour autant que la magie antique et médiévale entendaient le plus souvent convoquer des entités « astrales », plus ou moins angéliques, devenues, démoniaques durant la « Renaissance » du point de vue des praticiens de l' « Ars Magna » (et des moines dominicains !), les rituels très cérémoniels, courants durant les temps modernes, ont été mis au placard par un saut qualitatif opéré tout au long du XXᵉ siècle, les dieux et les démons étant désormais tenus pour des fantasmes datés et ringards. Cette obsolescence fortement liée à la dépréciation du religieux n'en a pas pour autant découragé Austin Osman Spare, artiste peintre de son état, sujet de sa très gracieuse majesté la Reine Victoria, à explorer l'art magique. Inspiré par le renouveau du paganisme celtique et la révolution psychanalytique freudienne, il développa une technique fondée sur la déconstruction de la réalité ordinaire dont les développements aboutiront à l'émergence de la « Magie du Chaos », terme pour la toute première fois apparu dans les écrits de Peter Carroll (« Liber Null and The Psychonaut », 1978), Anglais lui aussi, mage s'il en fût. L'inconscient est le réservoir de forces magiques susceptibles de tordre la réalité jusqu'à peut-être, maybe, mожет быть, affecter le réel. |
Pour se conditionner à quelque état d'esprit propice au mieux-être il existait la méthode développée par le très célèbre psychologue et pharmacien Émile Coué de la Châtaigneraie (1857 - 1926) consistant à exercer un pouvoir sur l'état de santé grâce au recours à l'imagination. La méthode qui porte son nom vise une "maîtrise de soi par l'autosuggestion" et consistait alors à répéter vingt fois le matin et pareillement le soir la phrase (magique ?) : "Chaque jour et à tous points de vue, je vais de mieux en mieux." l' "effet placebo" venait alors d'être mis en évidence à cause de résultats encourageants obtenus auprès de patients malades, physiquement ou psychologiquement.
C'est durant cette période de transition d'entre le XIXᵉ et le XXᵉ siècle que des chercheurs issus d'horizons très variés cheminaient sur la voie d'un inconscient dont la découverte stimulait toutes sortes de spéculations, parmi lesquelles celle considérant que celui-ci était le siège d'objets psychiques en mesure d’affecter la perception de la réalité voire du réel lui-même. Penseurs de plus en plus nombreux, philosophes, psychologues mais aussi (et à fortiori) occultistes commençaient à tenir la « réalité » pour une construction cognitive très largement formatée par le social, une illusion perceptive propre à satisfaire le conformisme des masses populaires attendu par les classes dirigeantes. Une façon plus moderne encore de le dire est que la réalité est le produit d’un fonctionnement cognitif géré par un logiciel idéologique chargé d’assurer le maintien des conduites en vue de susciter l’aspiration à la désirabilité sociale.
Les travaux de l'artiste et magiste Austin Osman Spare (1886 - 1956) témoignent du cheminement dans la compréhension de cet inconscient et de son fonctionnement dans ses rapports avec l'imaginaire, le désir et la volonté. Dépouillée de ses accents et références plus ou moins ésotériques, il semble demeurer des écrits de A.O. Spare une architecture beaucoup moins alambiquée et une pensée autrement moins labyrinthique permettant de donner une description finalement plus pragmatique du processus par lequel la magie opère ; il s'agit de faire passer dans l'inconscient un message fort, et de le faire dans un état altéré de la conscience, proche de la transe. Ainsi, dans cet état, beaucoup de résistances, de doutes ou autres blocages sont levés ou empêchés d'entraver la croyance en l'efficacité du procédé consistant ici à imprégner les strates les plus inconscientes de notre psyché avec l'idée que le désir inscrit dans le message trouvera son accomplissement dans la réalité, mieux, dans le réel.
Les états névrotiques se constituent probablement de cette façon. Le refoulement d’un désir coupable, d’un souhait, d’une idée pénible (représentation) produite par une situation intolérable suscite une émotion intense qui peut aller jusqu’à déconnecter la conscience (le Moi) de la réalité ordinaire ainsi que de tout raisonnement relevant de la logique cartésienne et consensuelle d’un point de vue social. C'est alors que l’image mentale de ce qui est vécu est projetée dans l'inconscient avec une puissance qui défie la solidité de la barrière (« censure » selon S. Freud) qui le met à l'écart de toute communication (intelligible) avec la conscience, suite à quoi la barrière se reconstitue, assez rapidement dans la plupart des cas. Le moi conscient se sent alors protégé du retour de ce qui a été refoulé, mais qui dans tous les cas affectera la réalité perçue et vécue du fait que le refoulé a vocation à revenir à la conscience, ce qui active des mécanismes, coûteux en énergie psychique, visant à l’en empêcher. Il s’ajoute à cela que l’affect associé à une représentation pénible cause de cet affect, n’est pas refoulé, et va être associé à un autre objet plus ou moins allégorique de la situation princeps. Il suit que les véritables raisons d’un comportement phobique deviennent obscures, et le comportement en question d’apparence très singulière (i.e. les troubles obsessionnels compulsifs).
... nos observations nous ont montré de façon certaine que la force psychique et physique d'un souhait est bien plus grande quand il baigne dans l'inconscient que lorsqu'il s'impose à la conscience. On le comprendra si l'on songe qu'un souhait inconscient est soustrait à toute influence ; les aspirations opposées n'ont pas de prise sur lui. Au contraire, un souhait conscient peut être influencé par tous les autres phénomènes conscients qui s'opposent à lui."
(Sigmund FREUD, "Cinq leçons sur la psychanalyse" - 1910)
C'est par ce processus que se constituent un ensemble de comportements, agencés en forme de conduites apparemment irrationnelles par contraste à ce qui est d' "ordinaire" attendu par la société. Un individu va passer des heures à nettoyer son intérieur, visiter ses torchons trois à cinq fois ou plus chaque quart d'heure pour vérifier qu'ils ne risquent pas de chuter et de se souiller. Il ne comprend pas pourquoi ; il croit que c'est nécessaire. Il accomplit un rituel qui fait sens à sa réalité désormais sous l'emprise d'une idée qui le dérange. Mais l'affect demeure et doit être déplacé sur un autre ou d'autres objets : les insectes, les plumes, les alvéoles, les rats ou les souris, la saleté, les chiffres ... Que sais-je ?
La Chaos magick, l'inconscient et le rêve
Envoyer dans l'inconscient des pensées "positives", c'est cela la magie du XXIème siècle !
La Magie du Chaos, Chaos Magick en anglais, la Magick, se nourrit des conceptions contemporaines du cerveau, de la pensée, de la psyché, mais aussi du constat que les livres de magie et autres grimoires du moyen-âge et de la renaissance sont des constructions complexes et obsolètes vis à vis desquelles la notion d'inconscient fait figure de chaînon manquant.
Les magiciens du chaos ont pris beaucoup de distance à l'endroit des anges et des démons traditionnellement convoqués par des formules nébuleuses et des bouffées d'encens sacerdotal, en ce qu'ils n'y voient au fond que des outils, des symboles dont le seul intérêt est de donner du sens à une opération magique ; ils sont des objets contribuant à la théâtralisation par laquelle le mage atteint cet état de transe propice à projeter sa volonté ou son désir. L'idée ayant prévalu jusqu'au XXème siècle était que la volonté du mage se propageait dans l' "astral", notion sybilline, sur laquelle il faudra peut-être revenir puisque dans cette approche proto-moderne de la magie, c'est dans cet astral que - selon les théories antiques et médiévales - se préfigurent les manifestations tangibles issues d'élucubrations mentales (événements, objets...).
Je ne saurai à ce stade conclure que l'astral c'est l'inconscient mais je sais que les objets psychiques comme les idées maintenues non sans effort dans l'inconscient, qui y stagnent ou s'y agitent, sont à l'origine de beaucoup d'attitudes, de représentations et de comportements. On admet aujourd'hui, et de très nombreux témoins en ont fait l'expérience (peut-être même vous lecteur), que certains rêves ont changé quelque chose dans la réalité de ces personnes comme le fait de se sentir amoureux de quelqu'un alors que la veille rien ne leur laissait imaginer ni prévoir un tel élan.
Le rêve ...
Sigmund Freud nous a décrit le rêve comme un tissu d'éléments surgis d'une mémoire enfouie jusque dans les couches les plus profondes de l'inconscient ; pour l'inventeur de la psychanalyse - ou "cure par la parole" - les rêves les plus apparemment absurdes sont ceux dont le contenu manifeste renferme les idées les plus intolérables à notre conscience. Selon lui, les agencements et transformations subies par les éléments de cette mémoire enfouie - "refoulée" - y sont maintenus comme prisonniers par cette fonction de notre psychisme qu'il nomme "censure" dans sa première topique. Ainsi, les dormeurs que nous sommes ne retiennent qu'une impression extravagante, souvent confuse, d'un scénario et d'une scénographie définitivement perçus comme incohérents à une construction rationnelle du réel. Le rêve ne renvoie alors qu'un message peu intelligible dont la résonance émotionnelle n'est pas reconnue comme pertinente à ce qui relève de l'expérience ordinaire commune à l'état de veille. Il reste une ou plusieurs impressions dont le caractère ineffable les rend pour le moins rocambolesques, impalpables, parfois effrayantes, cependant que le rêveur désormais éveillé n'y comprend rien (ou presque ?), ne peut ou ne veut y trouver du sens, surtout semble-t-il à propos des plus dérangeantes.
Rituels
Tracer ou pas un cercle n’est pas ce qu’il y a de plus important. Le cercle – forme magique par excellence – avait la vertu de modéliser un monde en réduction, territoire du mage, et de le soustraire à toute influence néfaste en provenance de cet astral limbique, qu’il fallait bannir par une formule comme il fallait ensuite bannir les entités convoquées pour les besoins de l’opération. L’acte de bannir est demeuré ; d’aucuns s’y prennent très simplement, d’autres en font encore des tartines avec le tracé d’un pentagramme virtuel, en gesticulations n’ayant finalement de sens qu'en égard à des doctrines spécieuses .
"Bannir" consiste à dresser une frontière temporaire entre la réalité ordinaire et le temps dévolu à l’opération. Un temps “magique”. Un second bannissement est pratiqué pour marquer la fin de l’opération et le retour à la réalité ordinaire.
Il ne faut ici se faire aucune illusion ; la réalité quotidienne en est une !
Répétitions de postures, de gestes ou de paroles, les rituels y ont largement recours pour contraindre la conscience à migrer vers un autre espace/temps au parfum de sacré. On pensera peut-être aux percussions par lesquelles la conscience altérée du chamane s’échappe dans le monde des esprits mais encore aux tintements des bols tibétains dont la vibration s’attarde et s'enfuit dans le silence. La frontière entre conscient et inconscient devient poreuse, ténue, se dissout peu à peu ; la voie entre l’abîme de la psyché et la réalité perçue est ouverte.
La méthode Coué n’est rien moins que faire passer la volonté sous la forme d’une affirmation dans l’inconscient comme s’il s’agissait d’agir sur celui-ci, dans le but de transformer la réalité vécue et ainsi favoriser de nouvelles façons plus créatives de s’y adapter ; et je ne peux résister à entrevoir dans ce modèle l’influence d’une pensée évolutionniste selon laquelle la survie et le progrès passent par l’adaptation à l’environnement, ce qui ici suppose l’intervention de la créativité, une créativité dont nous sommes tous dotés et dont les ressources existent au plus profond de nous-mêmes, dans l’inconscient.
Bannissement : passer d’un monde à l’autre
Le bannissement se fait souvent de manière automatique mais aussi organisée, et par l’usage de codes partagés, dans des situations qui n’ont apparemment rien de très magique ; chacun d’entre nous vit des temps juxtaposés dans lesquels on entre et on sort, avec plus ou moins de facilité toutefois, au point que si le bannissement n’est pas pratiqué d’une manière ou d’une autre, la frontière entre ces temps de nature différente (exemples : famille/travail – vie sociale/vie privée – passé/présent…) se dissout et la vie devient confuse au point de nous exposer à des difficultés, des égarements, surtout dans le cas où la dissolution de ces frontières est étrangère à la propre volonté.
On peut concevoir qu’il est au moins aussi souhaitable d’éviter de ramener ses problèmes de boulot à la maison que de ruminer ses problèmes familiaux sur le lieu de travail. Un magicien quel qu’il soit doit prendre la mesure de tout cela et avoir au moins la maîtrise de ces différents espaces/temps et de leurs frontières. Saluer quelqu’un est un bannissement en ce qu’il s’agit de privilégier une sorte de tunnel, canal privilégié de communication entre deux personnes et leur réalité partagée, et créer ainsi une bulle soudain enceinte mais tout à la fois extérieure et hors des autres espaces et temps présents. Négliger ce cloisonnement des espaces/temps de vie peut avoir des conséquences fâcheuses sur l’équilibre mental de la personne qui ne prendrait pas cette précaution.
Choisir sa réalité
S’il ne devait rester qu’un geste rituel, ce serait le bannissement ! Je force le trait, simplement pour insister sur l’inutilité de s’encombrer de trente-six pentacles en métal comme ceci et gravés avec des trucs comme cela en vue de procéder à une opération magique. Sans doute tout le tralala de la magie cérémonielle auquel sacrifia abondamment Aleister Crowley n’est-il qu’une manière de mettre le psychisme en condition et ne vaut pas davantage en la matière, et certainement moins peut-être que la célèbre formule du Docteur Coué, surtout aux yeux des magiciens modernes.
Répéter à l’envi la formule de Monsieur Coué est un acte, tout au moins une tentative de bannissement des idées noires, comparable au mantra des moines bouddhistes ou une psalmodie que murmurent ou chantent d’autres religieux ; le message récité est doublement signifiant et hypnogène pour que les portes de l’inconscient s’ouvrent à lui. On est progressivement séparé du monde environnant, comme dans une sphère en osmose avec un ailleurs habité par les dieux. Les derviches tournent sur eux-mêmes, ensemble ; ils réalisent une union mystique, un relai entre les spectateurs, les musiciens et leur dieu. On pourrait substituer “Je vais de mieux en mieux, mieux qu’hier, moins bien que demain.”, ce qui dit ce que ça veut dire, à un détail près, c’est le “… moins bien …” qui n’entre pas dans la catégorie des affirmations.
La formulation du souhait, du vœu, de la volonté ou autre mouvement de l’âme ou de l’esprit, se pose très sérieusement. Il y a une nuance entre “Je souhaite“, “Je veux“, ou pire, “Je voudrais” ; le magicien ne parle ni ne pense au conditionnel ; il ne recule pas devant l’emploi de l’impératif.
Conclusion
C’est au fond le présent qui compte, car le présent c’est déjà l’avenir. Tout le pouvoir est dans l’affirmation. L’Art consiste aussi à réfléchir aux conséquences possibles de l’inscription de cette affirmation dans la réalité ; c’est probablement ce qui fait de la Magie un cheminement qui croise celui de la philosophie et de la psychologie.
lien : PETER J. CARROLL « PSYCHONAUTS, ILLUMINATES OF THANATEROS & CHAOS MAGICK »
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