Il peut arriver d'avoir un comportement en contradiction avec les principes et les valeurs que nous nous sommes fixés, nos croyances, et d'en éprouver un malaise souvent lié à une forme de culpabilité. Une telle situation relève d'un conflit entre les aspirations et les actes.

Nous sommes alors en état de dissonance cognitive.

Leon Festiger
Leon Festiger

Léon Festinger s'est attaché à analyser les stratégies par lesquelles un individu tente de dépasser ce conflit interne pour continuer à se sentir consistant et cohérent et lutter contre un inconfort cognitif.

La petite vidéo ci-dessous vous explique très simplement le mécanisme de réduction de dissonance cognitive en prenant l'exemple de la consommation de viande, habitude alimentaire très en question actuellement. 

 (crédit : Marine SPAAK - Le paradoxe de la viande)

 J'ajoute que les situations qui génèrent une dissonance cognitive sont extrêmement fréquentes, et que nos quotidiens respectifs nous y confrontent régulièrement. L'intensité de ces dissonances est variable, et c'est moins le type de situation en soi que le rapport intime entretenu par un individu avec telle ou telle situation qui détermine l'intensité ressentie par lui, de la pénibilité de ce ressenti. C'est en effet l'histoire du sujet qui constitue le facteur selon moi le plus déterminant d'une gêne pouvant aller jusqu'à une souffrance plus intense encore.

Dissonance cognitive VS Conflit psychique 

La vidéo que je vous ai présentée décrit le rapport que nous avons à la consommation de viande, mais chacun peut transposer ce cas - paradigmatique - à d'autres objets dont la diversité revient à la nature de ce que chaque personne investit dans ces objets : l'alcool ? Le tabac ? La religion ? Les hommes, les femmes ? Le sexe ? Bref ! Une multitude de choses auxquelles nous accordons une importance variable selon l'investissement émotionnel et éminemment personnel que nous produisons à l'endroit de ces objets. Les phobies et autres névroses ne sont rien d'autre que le résultat de ces attractions/répulsions que nous avons des difficultés à gérer, maîtriser, analyser. Le psychisme - dans toute sa complexité - met alors en oeuvre des "mécanismes de défense" dont le "refoulement" (dans l' "inconscient") est devenu emblématique depuis les travaux de Sigmund Freud et ses prolongements avec la psychologie analytique dans le courant du XXème siècle.

Le concept de "conflit psychique" décrit un processus que je tiens pour analogique à celui de dissonance cognitive, ce dernier appartenant plutôt au domaine de la psychologie sociale. Or, si le conflit socio-cognitif (concept développé dans une approche néo-piagétienne) est donné pour être formateur en ce qu'il nourrit les processus adaptatifs à l'intersubjectivité (relatif ici à l'adaptation à la vie sociale dès l'enfance), il demeure parfois incertain que chaque individu soit en mesure de le compenser.

Un instrument d'influence sociale 

lavage de cerveauPlus encore. Si la dissonance cognitive est un processus normal, il peut être instrumentalisé pour rendre une personne ou un groupe vulnérable. Le but est alors d'utiliser cette vulnérabilité pour conditionner à un comportement, en ce que l'état de vulnérabilité (psychologique ou psychique, c'est comme on voudra) force à davantage de réceptivité.

C'est ainsi que les autorités sanitaires mettent les fumeurs en dissonance en habillant de noir les paquets de cigarettes, flanqués d'un message visant à terroriser (noir sur blanc) - "ça tue", "ça rend impuissant" ... - en y associant des images inquiétantes et parfois ... osons le mot, dégueulasses, pour assujettir à une pénibilité née de la dissonance cognitive alors vécue par le fumeur en quête d'une sensation de plaisir. Autrement dit, et c'est en cela que l'analogie est pour moi pertinente, les autorités sanitaires cherchent à susciter un conflit psychique basé sur la confrontation entre le principe de plaisir et celui de réalité.

La dissonance cognitive devient alors un outil d'influence sociale. En terme de conflit socio-cognitif, il y a l'enjeu d'une normalisation de la vie sociale ("fumer nuit à votre entourage"), de sorte que la dissonance créée entre "je respecte les autres" et "je nuis aux autres" enjoigne le fumeur à éviter de se livrer à son vice en présence d'autrui, au point que même chez soi, on en vient à aller fumer sa clope au dehors, qu'il pleuve, vente ou neige.

fumer tueOn aura compris que toute personne confrontée à des cognitions incompatibles va chercher à restaurer une cohérence entre ce qu'elle pense et ce qu'elle fait, à réduire l'inconfort que provoque en elle l'état de dissonance.

Pour en revenir au "paradoxe de la viande", je renvoie le lecteur aux actions militantes - parfois exactions violentes - commises par les défenseurs de la cause animale. Certaines de ces actions parfois très violentes peuvent être comprises comme des passages à l'acte entendus comme des tentatives de maintenir une cohérence cognitive entre des comportements socialement indésirables et un corpus de valeurs que les "animalistes" cherchent à promouvoir en allant par exemple briser les vitrines de boucheries-charcuteries ou saccager les rayons de grandes surfaces proposant des produits carnés. La justification de leurs actes tient à un attachement indéfectible à ces valeurs de bienveillance et d'universalisme auxquelles ils associent les animaux, êtres sensibles capables d'émotions (et de sentiments ?) dans lesquels ils se projettent positivement.

Échec de la réduction et passage à l'acte 

culpabilitéJe me suis depuis longtemps déjà rendu à ce qui est désormais une évidence pour moi, à cet aphorisme selon lequel "les convertis sont parmi les pires prosélytes" qu'il se puisse concevoir. Aussi, j'émets l'hypothèse suivante : les "animalistes" violents sont atteints d'une névrose réactionnelle* confinant à un état psychopathologique limite qui les amène à exorciser une culpabilité refoulée d'avoir jadis été eux-mêmes consommateurs de viande ; ou peut-être été victimes d'injonctions parentales consistant à leur faire un devoir d'en consommer car "il faut manger de tout". Il y a probablement d'autres processus en jeu. La psychodynamique est un vaste sujet ! Le fait historique de la subversion de l'Empire Romain par les chrétiens me paraît constituer un thème en lien avec la dissonance cognitive comme instrument d'influence et de changement social. J'y reviendrai ultérieurement.

Les "nervis", de quelque bord qu'ils soient, sont certainement en proie à des tumultes à caractère psychopathique, nés de dissonances qu'il leur est très difficile de réduire.

 

* ou plus exactement "formation réactionnelle" ;  une formation réactionnelle est une attitude susceptible de se transformer en trait de caractère, qui substitue un comportement acceptable à des pulsions inacceptables, s'opposant ainsi à un désir refoulé. Il s'agit donc d'une construction névrotique de la personnalité. 

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