Réenchanter le monde

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Il me souvient - aussi - cet astrologue, Dan Martin, qui publiait chaque mois sa chronique d'astrologie mondiale sur une petite revue, "Astres", désormais disparue. Dan Martin annonçait dès 1975 le développement économique de pays appelés à jouer un rôle de plus en plus significatif, notamment le Brésil, l'Inde et la Chine. Durant cette période marquée par la "guerre froide" et la terreur nucléaire, il nous annonçait que tant que Neptune et Pluton formerait un sextil, il n'y avait pas lieu de s'inquiéter du déclenchement d'une troisième guerre mondiale. Formé à la méthode d'André Barbault, laquelle met en exergue l'analyse des cycles planétaires en relation avec les événements qui affectent le collectif, il s'intéressait aussi à la politique intérieure en interprétant les lunaisons en vue de formuler nombre de prévisions concernant la vie des partis politiques et le résultat probable d'élections municipales, législatives et présidentielles. 

Monde anxiogène

C'est tout particulièrement à l'approche de la grande syzygie de 1983 que sa conviction qu'il n'y aurait ni guerre mondiale pas plus que nucléaire s'est affirmée en se fondant sur la relation harmonieuse de ces deux très lointaines planètes, Neptune et Pluton (par sextil, soit un angle de 60° de longitude en elles) dont une est aujourd'hui déclassée en planétoïde excentrique. Dan Martin ne s'était donc pas trompé, ni davantage sur l'émergence du Brésil, de l'Inde et de la Chine comme partenaires commerciaux majeurs. La crise des euromissiles n'a pas dégénéré en apocalypse nucléaire. Quant aux pays dits "émergents", ils fournissent le monde en matières premières, médicaments et produits transformés, accueillent des entreprises occidentales qui s'y délocalisent pour améliorer les profits de leurs actionnaires. 

Il me souvient aussi que les trente années qui suivirent la fin de la deuxième guerre mondiale ont vu se développer toutes sortes de mouvements culturels parmi lesquels le "New Age" ne fut pas des moindres, prônant le respect de la nature, ressuscitant une magie salvatrice basée sur le pouvoir des végétaux et des pierres précieuses, de la méditation et des incantations païennes. La psychanalyse s'enseignait dans les universités, la libération sexuelle défiait la morale, la jeunesse affrontait des "vieux cons" accrochés à leurs privilèges quand par ailleurs l'Occident subissait un premier coup de semonce visant à l'avertir de la précarité de son abondance. 

Si l'ambiance de guerre froide suscitait une forte anxiété chez d'aucuns, elle est brutalement redevenue d'actualité ; il s'y ajoute une "éco-anxiété" liée aux messages de plus en plus alarmants relatifs à un réchauffement du climat de la planète duquel les activités humaines - agricoles et industrielles - seraient en majeure partie responsables. Le mental des plus jeunes s'en trouve fortement affecté au point que des actions de plus en plus intenses et radicales viennent rappeler aux élites dirigeantes que leur inaction à caractère criminel les condamne à un avenir suffocant et délétère. 

S'échapper

Est-il extravagant d'envisager l'essor des techniques de développement personnel comme une conséquence de la dégradation de l'état du monde ? À une époque ou presque tout un chacun peut - en Occident - choisir sa vie, exprimer ses opinions, décider ou non de participer à des actions collectives, est-il surprenant que l'individu s'intéresse d'abord à son bien-être personnel avant que de s'inquiéter du malheur des autres ? Mais l'individualisme est-il pour autant devenu la règle dans cet Occident où nombre de solidarités à caractère universaliste sont encore bien vivaces ? Force est de constater que l'altruisme n'a pas été évincé par le chacun pour soi. Il y a seulement que le développement socio-économique de nos sociétés de l'ouest du monde a permis au plus grand nombre l'accession à des espaces-temps propices à inventer et ré-inventer sa propre vie, moyennant un peu d'instruction, de culture, et surtout de curiosité relevée d'un soupçon d'optimisme pour conjurer la torpeur que peut susciter l'alarmisme ambiant. 

Marc Aurèle, empereur, philosophe stoïcien et écrivain romain (121 - 180)Les échappatoires ne manquent pas pour transfigurer la réalité. Il n'est pas nouveau qu'un peu de philosophie nous aide à reconstruire notre perception d'un monde inhospitalier et défavorable à notre accomplissement personnel. Socrate recommandait la connaissance de soi pour développer une conduite vertueuse. Épictète conseillait d'identifier toutes choses sous notre contrôle par opposition à celles qui ne le sont pas, de les considérer en tant que telles et de renoncer à vouloir influencer ce qui ne dépend pas de nous. Vivre dans un monde hostile et alarmiste pose la problématique de la recherche du bonheur. Les philosophes antiques Grecs et Romains y ont beaucoup réfléchi, sans doute parce que les temps qui les ont vus vivre les y ont plus ou moins contraints.

Lâcher prise

Ne rien espérer, ne rien désirer, c'est rester libre. La liberté est une chose précieuse pour nous autres Occidentaux qui néanmoins paraissent avoir perdu le sens du mot "sagesse". Et cependant, tout porte à considérer l'essor des thérapies cognitives comme une proposition d'atteindre un certain degré de sagesse pour changer quelque chose à notre façon de vivre et se préserver des blessures de l'âme. Car ce qui nous trouble, ce ne sont pas les choses mais les jugements que nous portons sur elles (Épictète). Déjà, Épicure, trois siècles auparavant, estimait qu'une vie réussie l'est par l'évitement de la douleur. Cultiver son jardin et la frugalité.  Le lecteur m'aura peut-être compris dans cette dernière phrase en ce que le "jardin" est notre affordance, ce que nous avons en nous et donc disponible à nous développer, et la frugalité une attitude tempérante quant à la pression qu'exerce le désir. La tempérance tient lieu chez Platon de qualité cardinale nécessaire à atteindre la sagesse, les trois autres, la justice, le courage et la piété. Ce sont peut-être même des vertus essentielles propices à la recherche et l'atteinte du bonheur. Être juste avec les autres mais aussi avec soi-même, sans complaisance ni désamour, avoir le courage d'exister et de résister à l'injustice et l'iniquité, être gracieux par la gratitude envers ce qui nous échoit de bien et la bienveillance à l'égard d'autrui. 

Rester simple

Il n'est nul besoin de s'enliser dans la métaphysique pour connaître ce qui peut nous être propice à devenir plus heureux que nous le sommes en des temps difficiles. Si la sagesse est une vertu, l'intelligence n'en est pas et son usage pour connaître la "vraie" nature des choses et des causes premières de tout ne me paraît certainement pas un viatique efficace pour se sentir heureux de vivre. Je laisse aux astrophysiciens le soin d'observer les trous noirs et décrypter les contours obscurs du "bigbang" et leur rend simplement grâce de leur contribution à m'offrir le fantastique spectacle de l'infiniment grand. Je n'ai pas envie de savoir s'il y avait quelque chose avant ni ce qu'il y aura après et je laisse aux frères Bogdanoff de vérifier dans l'au-delà qui est le leur si dieu existe ou pas. À l'instar d'Épicure et des stoïciens, je m'efforce de prendre les choses comme elles arrivent et de ne les considérer que pour ce qu'elles sont, fût-ce avec dérision pour certaines.

Cueillir le jour* et faire attention au chien**, voici à quoi peut se condenser ma philosophie, et le monde devient soudain moins irrespirable à défaut d'être accueillant.

J'aime la pensée de ces philosophes antiques ; ils m'ont aidé à échapper à la lourdeur du monde, mais il n'y a pas eu seulement eux pour alléger mon sort car j'ai nourri très tôt un goût assumé pour la nature et le jardinage, les pierres fines et les plantes médicinales, la musique et les états altérés de conscience. Je dois cela à une inclination au merveilleux, à savoir qu'il est des choses qui ont un pouvoir sur la réalité et peut-être même le réel. C'est plus tard qu'étudiant en psychologie je compris toute la différence entre la réalité et le réel et plus tard encore les ressorts qui font que la première est efficiente à modifier le second, en somme, que la croyance est une attitude capable de changer le monde, sans quoi aucune révolution ne fût possible, n'est-ce pas ? Ce n'est pas vraiment le réel qui nous limite, mais les contours de nos connaissances, fixées par des doctrines religieuses ou scientifiques et leurs décrets sur ce qu'il convient de croire ou ne pas croire en l'absence de preuves irréfutables, quoique tenues pour telles, tant il me paraît évident que chaque découverte repousse davantage l'étendue de ce qu'il reste à découvrir. 

 

RÉENCHANTER LE MONDE ? 

[to be continued]

 

 

* Carpe diem 

** Cave canem

 



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