Contes ... de fées ?

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Slenderman

Standards intemporels que les enfants écoutent yeux grands ouverts, constellés d'allégories mystérieuses et de messages cryptés, les contes de fées nous parlent cependant de ce que furent les sociétés et les personnes de temps qui ne sont plus, de leurs idéaux, leurs rêves, leurs peurs, leur conduite et celle de leur destin. N'est-ce pas au final le mythe qui parle de la société quand celle-ci entend le définir par des discours savants ? Depuis Freud jusqu'à Bettelheim en passant par Jung, la psychanalyse a fourni aux sciences humaines quelques éléments d'une sémiotique du récit. Vladimir Propp, Tzvetan Todorov et d'autres ont exploré une sorte de syntaxe universelle en analysant la structure des récits et des éléments narratifs récurrents qui signalent de façon anonyme et souvent ésotérique des traits remarquables de l'habitus de nos ancêtres. La magie de ces mascarades enchante, envoûte, mystifie l'auditeur de ces histoires déguisées par ceux qui les ont transmises, érodées par le temps, parvenues jusqu'à lui, métamorphosées en prototypes vêtus d'artifices. Les sociétés humaines se construisent ainsi des réalités singulières, faites de ces archétypes tout à la fois exceptionnels et paradigmatiques liés à des valeurs perçues comme centrales voire universelles, exaltées par le jeu de métaphores savamment articulées. Les logiques de récit sous-tendent les repères qu'on se donne pour comprendre le monde et le tissu de notre propre histoire. Il y avait ce héros d'une antique légende, Jason, qui partait à la conquête d'une "toison d'or", princeps de celle de ce conquistador qui traversa l'océan pour conquérir un hypothétique eldorado, et de celles de tous ces héros partis de rien et qui firent la fortune qui leur donna le pouvoir et les habilla de prestige. D'autres encore fermentent dans l'inconscient collectif et nourrissent des légendes urbaines. Le réel est ce qu'il est ; la réalité, elle, procède du mythe.

Le bon roi Dagobert ...

Dagobert premierLes rois mérovingiens étaient probablement pour la plupart, ces ogres pervers et sanguinaires en des temps violents où la fracture était immense entre la condition sociale du seigneur et celle de ses serfs. L'histoire veut que Dagobert fut ce que les mérovingiens nous donnèrent de mieux, du moins le croyons-nous par inclination à goûter une sorte de roman national, ce "bon roi Dagobert" qui mettait sa culotte à l'envers, fait sourire et chanter les petits enfants qui n'en comprennent que ce que ça dit, les allusions, allégories ou autres figures de style leur étant encore étrangères, dissimulant ce que l'histoire officielle elle-même ne dit pas, que ce bon roi était un fieffé sodomite que les sermons du bon saint-éloi tentaient d'arracher à son vice pour enfin remettre sa culotte à l'endroit. Le mythe du bon roi s'empare aussi de Charlemagne, premier Empereur Romain d'Occident dont l'histoire taira les dizaines de concubines et qui avec la bénédiction d'un pape baptisa les saxons à l'épée, de ce bon Roi "Saint-Louis" qui de bonne tradition franque faisait appliquer la loi salique des ordalies, assis dit-on sous son chêne, symbole païen de force et de pouvoir, mais pourtant aussi violent que l'arbre est puissant et vigoureux ; justice implacable, sentences redoutables, châtiments d'une rare cruauté sont autant de choses qu'à l'époque de l'école républicaine on taisait et fait encore silence à ce jour, faisant de ce despote capétien un héros doux et compréhensif, juste et magnanime, prompt à s'émouvoir du bien-être de ses sujets et que sa piété fit partir en croisade dont on parlait comme d'une juste cause. Celui-ci parmi d'aucuns put jouir jusqu'à nos jours d'une réputation peu conforme à certains faits aujourd'hui connus dans le contexte des mœurs et usages d'un Moyen-Âge en transition culturelle. Rien ici ne vient témoigner de ce qu'il en fut réellement, curieusement peut-être par une contine ou un conte imbibant quantités d'allusions voilées à ce que furent ces figures d'une histoire fantasmée audible aux petits enfants et aux gens ordinaires. On peut encore évoquer Philippe IV dit "Le Bel" qui fit arrêter, torturer, spolier et brûler vifs les grands maîtres de l'Ordre du Temple avec la complicité de l'inquisition des chrétiens, Louis XI et sa manie d'enfermer ses ennemis dans de petites cages très inconfortables (c'est un euphémisme) et qu'il maintenait tout juste en vie par un régime très frugal, pour conforter l'idée que dans le fond tout n'était guère mieux avant.

L'histoire volontiers romancée des rois de France met définitivement une distance entre ces hommes cruels et sadiques et ces entités prédatrices dont on peut retrouver la trace dans les contes sous la forme d'ogres féroces et dévorateurs. Les prédateurs sanguinaires se précipitent plutôt d'est en ouest comme Attila ou Gengis Khan ; ils ne règnent pas en rois chrétiens. Ils n'ont de très connu que leurs œuvres présentées comme magnanimes quand les ogres de nos contes - créatures de cauchemards - partagent le genre masculin. On observe en revanche que le genre féminin s'incarne volontiers dans d'humaines protagonistes de machinations et de cruautés, méchante reine, marâtre maltraitante, empoisonneuse, femme fatale et conspiratrice, pour parfois devenir Dame de Pique ou sorcière hideuse et cannibale.

Gilles de Rais, qu'une indélicatesse conduisit au bûcher

Gilles de RaisOù sont donc passés ces criminels métamorphosés en croquemitaines qui enlèvent les enfants pendant la "Nuit des Masques" - samhain - le 31 octobre - quand ailleurs ils se manifestent sous la forme d'un loup tout aussi malin que vorace dans "Le Petit Chaperon Rouge" restitué par Charles Perrault. Le "croquemitaine", ce prédateur, est celui des contes qui dans nos cauchemards poursuit ce que notre part féminine tente de fuir. Il surgit parfois recouvert d'une grande cape noire et le visage caché par l'ombre d'un chapeau à large bord, ou encore sous la forme de cet homme chauve aux yeux de reptile qui se glisse dans notre chambre et s'approche lentement sans que nous puissions lui échapper ni ouvrir la bouche pour libérer un hurlement. Le personnage de Gilles de Rais aura sans doute bénéficié de cette aura luminescente qui fait que l'Histoire raconte... des histoires.

Maréchal de France, compagnon de Jeanne la Pucelle d'Orléans, il termina sa vie (presque) comme elle après s'être retiré dans ses terres de Vendée pour s'y livrer à des rapts d'enfants et jouir enfin de les torturer jusqu'à la mort. Mais une erreur de conduite à l'égard d'un haut satrape du clergé va être le début de sa déchéance. S'appuyant sur de sombres rumeurs, le prélat entendit laver l'outrage en déclenchant une enquête suivie de perquisition au château du maréchal en retraite. Ce dernier finira traduit devant un tribunal religieux puis un tribunal civil, condamné à mort, implorant le pardon, obtenant la grâce d'être pendu avant que le feu ne le brûle vivant. L'histoire le réhabilitera jusqu'à ce que la Révolution détruise le tombeau où reposaient ses cendres. Gilles de Rais est devenu une des figures masquées de l'histoire dont le véritable visage aura longtemps été délibérément dissimulé aux yeux des français dont la majorité ignore même l'existence de quelque lien vers des pages où sa biographie s'affiche brutalement non sans être assortie de références (cf. philophil.com , "Le procès de Gilles de Rais", George Bataille - 1965,  Dictionnaire des Oeuvres),

Barbe BleueLes passions coupables de Gilles de Rais seront tues jusqu'à ce qu'un roi d'Angleterre, Henri VIII, endosse les habits de La Barbe Bleue où contre toute logique apparente s'illustrait alors un avatar hétérosexuel du compagnon d'armes de Jeanne d'Arc, distinct de celui-ci par sa passion immodérée pour les femmes, mais semblable par son incohercible penchant pour le meurtre. Lors de son procès, on agitera l'épouvantail des rituels macabres perpétrés sur des garçons depuis leur rapt jusqu'à leur exécution, et de l'irréparable erreur que d'avoir voulu recourir au service d'un sorcier invoquant à sa demande un démon pour le protéger des menaces pesant sur lui du fait sa conduite intolérable envers ses suzerains. On masqua ainsi la raison initiale ayant motivé l'urgence de se débarrasser de lui. Gilles de Rais peut continuer sa carrière sous la forme d'un fantôme car ce n'est finalement pas lui que reconnaîtraient les enfants pour lesquels la nature "réelle" du personnage demeure secrète, comme il en est de "La Barbe Bleue" et du "Petit Poucet" qui restent des histoires morales dont l'ésotérisme échappe à leur entendement.

C'est ainsi qu'on peut les inquiéter de ce que leur vaudra une mauvaise conduite parce que le criminel est toujours démasqué. Mais le pédocriminel restera déguisé sous le masque du croquemitaine, évitant pour le coup de salir la mémoire d'un Maréchal de France ou de révéler les penchants pervers d'illustres personnages désormais plus grands morts que vivants. Des mystères sont là que la sémiologie du conte propose de percer en scrutant les allégories par lesquelles se métamorphosent les lieux-mêmes de l'enfermement des enfants en une pièce secrète où gisent les corps des précédentes épouses dont la dernière encore vivante se voit confier la clef ; les cryptes deviennent alors d'ordinaires caves où le chercheur peut désormais se livrer à une archéologie singulière. 

Avatars de l'histoire

On aperçoit combien l'histoire, première parmi les sciences humaines, maquille les faits et produit du fantastique. Ses acteurs finissent par hanter la mémoire collective sous forme d'ectoplasmes, de croquemitaines ou de vampires ! Les faits deviennent alors des fées, bonnes ou mauvaises, venant se produire dans toutes sortes de récits, faces visibles d'un inconscient sociétal où se jouent, dans le mystère, des scènes refoulées.

Connu pour avoir fait empaler des centaines de prisonniers, qui se souvient cependant que Vlad "Dracul", Vlad l'empaleur, devenu ce vampire assoiffé de sang, fut ce voïvode Valaque du piémont des Carpates, défenseur de la chrétienté, qui arrêta l'invasion de l'Europe Occidentale par les armées ottomanes ? Doit-on douter qu'avant la parution du roman de Bram Stoker le visage d'un héros menant croisade contre les turcs ait prévalu, dépouillé des horreurs qu'il commit, au motif peut-être que ses ennemis n'avaient rien à envier de sa férocité et sa crauté ?

Du docteur Faust au docteur Mabuse, le mythe se mêle irrémédiablement  - et diablement - à la réalité. L'un se nourrit de l'autre et réciproquement. Les archétypes du docteur Jung hantent les strates les plus abyssales de nos inconscients. Quiconque y trouvera de quoi jouer le rôle de sa vie. Il sont des attracteurs étranges qui façonnent les représentations, les attitudes, les motivations, et forgent les destinées. La figure de l'antique magicien noir sera le manteau de Méphistophélès, et de Mabuse on finira par guillotiner le docteur Petiot, ogre d'un temps de malheur, croquemitaine de tantes à héritage et de juifs fuyant la gestapo. 

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