C'est en 1977 que j'ai eu mon BAC, le Bac "D" qui était alors une section consacrée aux sciences de la vie, ainsi qu'à la physique et la mathématique. Un Bac scientifique quoi !
À cette époque, l'histoire et la géographie étaient - pour les scientifiques - des matières reléguées à une tentative de rattrapage. En "D", la philosophie était affectée d'un coefficient 2 ; les notes obtenues en sciences étaient mutipliées par 5 ! Il s'en est fallu de peu que j'eusse été recalé, avec mes 4/20 en physique et 5/20 en math !!! J'excellai en philo avec 16/20 et m'en sortis très honorablement avec 14/20 en biologie : deuxièmes meilleures notes de tout le bahut dans ces matières. Mais il aura fallu que je me présente pour le rattrapage, à la grande déception de ma mère, d'ores et déjà déçue de mon choix de faire des études de psychologie, à l'instar de toute la famille qui avait déjà ourdi le complot de m'envoyer à l'École Normale des Instituteurs, au motif que les études universitaires auraient coûté trop cher en regard de celles auxquelles on me destinait, rémunérées d'un salaire équivalant trois fois le S.M.I.C. de l'époque. Pour ces gens, c'était plié ; je quitterais la maison et apprendrais un métier, logé et payé par l'Éducation Nationale !
C'est le 7/7/77 que j'appris avoir décroché mon BAC grâce à mes 15/20 en géo et 14/20 en histoire. Pour l'anectote, les sujets sur lesquels j'ai dû élucubrer furent "La montée du nazisme" et "La démographie en Inde". On observera que la formulation du premier, en histoire, était plus précise.
Promesse tenue, ma mère consentit, malgré le "rattrapage", l'achat d'une moto XL Honda 125 Trail pour que je puisse partager des escapades avec mes potes qui en étaient déjà équipés, qui d'une Harley ou d'une Bugatti d'occase. Cet engin me permit de joindre l'École Normale, 82 kilomètres entre mon village et Nîmes, deux années durant.
Je me souviens de "Rock Collection" qui avait propulsé Laurent Voulzy au top des charts, cette chanson nostalgique au son de laquelle je sirotais ma bière place d'Aygu à Montélimar entre deux épreuves.
Plutôt branché "disco" à l'époque, adepte des gémissements de Donna Summer, j'étais néanmoins sensible à cette collection de tubes du passé qui semblait insister sur mon passage à une autre étape de ma vie dont je ne savais pas grand chose, sauf qu'il était temps que je dise adieu à mon adolescence. Je me revois sur la nationale 7, en direction de Pierrelatte, par un 7 juillet 1977 sec et torride, brumeux de chaleur, avec en tête "I love America" de Patrick Juvet, juste avant que je lise moi-même la preuve de mon admission.
Je crois être commun comme beaucoup qui associent une chanson, une musique, à des moments importants de leur vie. Celles que j'entendis quand je passais mon bac furent celles-là bien qu'elles ne furent ni ne soient à ce jour mes préférées. Mes parents s'étaient saignés de 4000 francs pour m'envoyer au États-Unis, dans le cadre d'un voyage linguistique organisé par ma prof d'anglais de terminale. Carrément envoûté - depuis une dizaine de mois pour l'avoir entendue un beau matin de printemps chez Europe 1 - par la voix de Karen Carpenter, je profitai de mon séjour à New York pour acheter quelques galettes, parmi lesquelles, à l'évidence, deux albums des Carpenters ("Carpenters", "Horizon"), un de Gloria Gaynor ("Experience"), de Heart ("Dreamboat Annie"), l'opéra complet "Turandot" de G. Puccini, tout cela chez "Sam Goodies", la méga-shop de référence.
J'oubliais de vous dire ma décision de passer mon bac avec anglais en première langue, après sept ans d'allemand, enseigné par un prof psychopathe et crypto-éphébophile, ce à quoi s'ajoutait sa trans-identité sexuelle et de genre, un type que je détestais, dont le prénom était mon patronyme et le sien celui de ma mère jeune fille : Bernard Martini. Le comble de l'étrangeté fut son statut de prof principal de ma section "D", de quoi devenir psychopathe à mon tour, ce dont heureusement il n'est rien. Ce vicieux m'envoya au BAC avec un avis défavorable, plus exactement libellé "doit faire ses preuves", ce prof de chleuh bizarrement élu au statut de prof principal d'une section scientifique, qui plus est anglophile ! (la section, j'entends). Je crois connaître la raison de ce fait singulier ; je vous en parlerai peut-être un jour prochain.
Je me souviens d'André, que son gendarme de père avait fait admettre dans un lycée privé pour redoubler sa première. Ma terminale ne fut désormais plus jamais égayée par les frottements de sa jambe gratifiant la mienne, salués par mes érections. André choisissait souvent d'être (tout) près de moi en cours. J'aimais ce mec. Une tumeur au cerveau l'a emporté il y a treize ans. Lui et moi avons été amants de la même femme, Nadia, emportée par un cancer du pancréas l'an dernier.
Extravagant et tout à la fois douloureux cette divagation dans laquelle un événement sensible convoque d'autres faits et sentiments, connectés dans un carrousel d'impressions dont seul notre psychisme a secrètement noué les impressions. Je crois que nous, pour la plupart, sommes de cette trempe. Je me souviens que Nadia m'avait prêté une série de vinyls, sélections de poèmes symphoniques classiques qui ont enchanté mes humeurs et fait connaître la musique que je ne connaissais pas d'auteurs que je croyais connaître, non sans le bonus d'en découvrir de nouveaux. Je n'ai jamais pu connaître sa maman, sans doute une belle personne.
La musique, la classique, celle des prods et des charts, m'a accompagné durant cette période qui a précédé et suivi celle de ces quelques jours de passation du Bac. D'avoir dû l'obtenir, puis le transformer en projet professionnel ne fut jamais une affaire facile. Je suis subjugué de ce pouvoir que la musique a sur moi, de son empire, de ce qu'elle me donne de quoi écrire mon histoire, de gré ou de force. Plus tardivement, ce fut "Heaven knows" de Donna Summer (album = "MacArthur Park" - 1978) qui accompagna ma transition incertaine mais définitive dans le monde de ceux et celles qui allaient se professionnaliser, affecté par cette idée pénible de quitter un temps que j'aurais voulu pérenne mais devait s'interrompre, dont la rupture me plongeait dans une morosité presque délectable, comme s'il s'agissait de valider les bonheurs dont j'avais joui, néanmoins réduit à devoir me résoudre à ne les plus vivre, espérant obscurément la survenue d'autres possibles, d'une félicité sans cesse renouvelée.
Ce jour, le contexte des résultats du BAC aura soulevé ce besoin d'écrire, de me raconter.
Quelque chose me laisse cet arrière-goût agaçant de regret, celui de n'avoir pas été plus audacieux, radical et incisif, viril et conquérant. Et cependant, je finis par comprendre que j'ai été tout cela. Il aura fallu que ceux et celles qui firent obstacle à mon besoin de m'accomplir disparaissent dans la mort, la mort, une alliée, là où on ne l'attend pas, dans son œuvre émancipatrice.
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